En guise d’adieu à MARCEL VACHER (1925-2022), notre complice

(par Michel RUSQUET)

 

Encore trois petites années et il aurait fait un magnifique centenaire, mais le sort en a décidé autrement et l’a emporté sans crier gare en ce début de février, dans la solitude de son appartement du VésinetCentre. Un appartement où il avait pu rester vivre en relative autonomie pendant ses vieux jours, ce qui était une vraie performance quand on pense à ces trois étages sans ascenseur qu’il lui fallait chaque fois monter ou descendre, alors même que les avatars physiques ne l’avaient pas épargné depuis au moins dix ans. Mais Marcel était un sportif, un vrai, et n’avait pas pour habitude d’abdiquer face à l’adversité. Nous sommes quelquesuns à l’avoir encore revu ou entendu régulièrement pendant ces moments parfois difficiles, et il nous épatait chaque fois par sa capacité à « encaisser » les mauvais coups, et à les traiter par le mépris ou l’autodérision, avec ces pointes d’humour si caractéristiques dont il n’était pas avare.

 

Personnalité rayonnante s’il en est, ce cher Marcel qui, après avoir raccroché à l’approche des 90 ans, aurait pu s’enfermer dans une existence solitaire, s’est plu au contraire à cultiver les liens d’amitié avec ses anciens comparses du club.

 

C’est que le vélo tenait toujours une place centrale dans son esprit, et l’environnement club qu’il avait connu lui tenait lieu de famille. On le sentait lors de chaque contact avec lui, même au téléphone, à travers tous les souvenirs qui lui revenaient en mémoire, et lorsque de temps à autre on se retrouvait à six ou sept entre vieux complices autour d’une bonne table, son enthousiasme à les raviver, aussi remarquable que son coup de fourchette, ses trouvailles humoristiques à la Pierre Dac ou encore ses emprunts à l’Album de la comtesse du Canard Enchaîné, faisait vraiment plaisir à voir.

 

Mais il nous en voudrait de nous attarder sur cette période de déclin, et de gommer toutes les années glorieuses de sportif qui l’ont précédée. À commencer par un certain passé d’avant-vélo, en l’occurrence son brillant passé de danseur sportif en couple, lorsqu’il sillonnait l’Europe entière pour aller conquérir des trophées dans des concours de danse internationaux, parmi lesquels une médaille de bronze à un championnat du monde !

 

Quand on sait à quel point une telle discipline, à la fois artistique et sportive, peut être exigeante et pousser au perfectionnisme, on se dit que l’expérience a forcément eu une influence sur la pratique cyclo de Marcel.

 

Au fond, c’est peut-être un peu pour cela qu’il est devenu un pédaleur aussi exemplaire, et une sorte de référence pour beaucoup d’entre nous.

 

 

Alain Cornet a tenu à le dire dans le message qu’il a diffusé pour annoncer son décès : « Attentionné et prodiguant d’utiles conseils, je lui dois certainement un peu de ma façon de rouler : sans à-coups, avec la régularité qui permet de faire de la distance aisément. » Au sommet de sa forme, dans les années 70 et 80, Marcel était une grande figure de l’Amicale Cyclo du Vésinet, et à coup sûr un modèle à suivre – dans les deux sens du terme « suivre » - pour tous ceux qui ont eu la chance de le connaître à cette époque. On le voit encore donner le tempo dans les longues sorties club en Vallée de Chevreuse, avec son style de « maitre-enrouleur » superbement huilé qui nous emmenait vite et loin sans efforts excessifs, et on n’oublie pas tout ce qu’il apportait à la bonne humeur au sein du groupe, au cours et en dehors de ces sorties.

 

 

Esprit fin et subtil, il ne négligeait pas les petits plaisirs de la vie, mariant idéalement convivialité et gastronomie : chaque retour de sortie obéissait avec lui à un rituel, ce passage obligé par le café du marché pour une petite Suze, ou mieux par le restaurant « La Grâce de Dieu » (aujourd’hui « L’Océan ») pour un petit verre de blanc et la dégustation de quelques huîtres, voire de foie gras…

 

On se souvient aussi de certaines équipées plus lointaines, comme le BRA, le Brevet des Vosges ou surtout cette première édition de la redoutable Marmotte en juillet 1982. En compagnie de Michel Phulpin, Marcel en vint à bout après avoir subi des conditions météo extrêmes : une chaleur étouffante dans la Croix de Fer, en Maurienne et dans le Télégraphe, une pluie glaciale mêlée de grêle dans le Galibier et jusqu’au Lautaret, puis un retour à la chaleur suffocante à l’approche de Bourg d’Oisans et de l’Alpe d’Huez. Des conditions tellement dures d’ailleurs que l’organisation fit appel à des camions de l’armée pour secourir les attardés en haut du Galibier ! Autant dire que nos deux héros étaient bien entamés au moment d’entreprendre la montée finale de l’Alpe d’Huez, et qu’ils apprécièrent à sa juste valeur la délicate attention des organisateurs : dans l’un des premiers virages, ceux-ci avaient posté un véhicule bien équipé qui offrait tout le réconfort possible aux membres éprouvés et ce, par la grâce des mains expertes d’une masseuse idéalement compatissante.

 

Nos deux éclopés en tirèrent le meilleur profit, et il se dit même que Marcel sut trouver les mots – à la Pierre Dac ou autres - pour que la soignante y trouve elle-même son compte de détente… au point de prolonger la séance ! On ne dispose hélas d’aucun enregistrement, mais le témoignage de Michel fait foi !

 

C’est au début des années 1990 que Marcel rejoignit le Cyclo Club de Croissy, quelque temps après l’auto-dissolution de l’Amicale Cyclo du Vésinet. Il en fut très vite un membre remarquable et remarqué, ce qui allait légitimer pleinement le titre de membre honoraire qui lui fut attribué à partir de 2014. Pendant plus de vingt ans, avec ces mêmes qualités que celles qu’on lui avait connues auparavant, et le même plaisir à faire un détour par le bar du club pour la petite Suze rituelle, il a fait l’unanimité au sein du club.

 

Bien que passé dans la catégorie des seniors, il a gardé longtemps la même efficacité dans le pédalage, et lorsque l’âge a commencé à entamer ses performances, il a mieux que jamais conjugué les vertus de la tête et des jambes.

 

Dans les sorties, on l’a vu peu à peu privilégier la compagnie de quelques complices qui ne lui voulaient que du bien, au premier rang desquels Edmond Lichota, Michel Phulpin, Patrick Sarraude, Michel Lablanche et, last but not least, Alain Krauss, son lièvre attitré. Car il avait distribué les rôles entre Alain et lui, et il aurait pu en faire une chanson dont le refrain aurait été « Moi derrière et lui devant ». Lui voler la roue d’Alain, fût-ce par inadvertance, était vécu par lui comme une agression.

 

Et c’est vrai que le couple pédalant très fusionnel qu’ils formaient tous les deux, en tout bien tout honneur évidemment, était un vrai plaisir des yeux.

 

L’harmonie était totale et, grâce à une gestion de l’effort plus souveraine que jamais entre montées et portions plates, l’efficacité du duo restait redoutable : si on levait le pied en haut d’une bosse pour attendre son retour, il valait mieux ne pas rater le coche quand le TGV s’était remis à embrayer…

 

 

Reconnaissons avec Marcel luimême qu’Alain, dans ce rôle de « poisson-pilote », aura joué un rôle essentiel pour lui permettre de faire durer aussi longtemps le plaisir du vélo. À ce propos, on se demandera toujours de quel don de communication supérieur disposait Alain pour adapter en permanence et aussi finement la cadence au rythme cardiaque de Marcel, sans que celui-ci n’ait jamais à donner de la voix. Sans doute une forme accomplie de télépathie ! Sur ses vieux jours, donc après avoir raccroché, Marcel avait grand plaisir à revoir une photo « historique » que nous reproduisons ici, une photo illustrant ce qu’il considérait comme sa dernière performance mémorable de cyclo, à l’âge de 80 ans. On l’y voit en bonne compagnie, et sans trace apparente de fatigue, à l’issue du 200 du club en 2005, un parcours qu’il avait bouclé dans un total état de grâce avec Alain Krauss et Edmond Lichota, à une vitesse moyenne de 25 km/h !

Une performance dont il n’était pas peu fier, mais dont il s’empressait d’attribuer le mérite à son cher poisson-pilote dont il n’avait eu qu’à sucer la roue du début à la fin. À l’évidence, cette photo le touchait tout spécialement par ce qu’elle exprimait de vieille complicité amicale, comme d’autres peuvent être touchés par une vieille photo de famille. On espère qu’il l’a emportée avec lui pour son dernier voyage…